La question est vite répondue. Mais nous avions envie d’apporter une réponse un peu plus étoffée qui, nous l’espérons, pourra vous convaincre également.
Spotify, un jour, Spotify toujours ?
Commencer cet article en vous présentant le leader mondial des plateformes de streaming musical serait un outrage. Spotify, vous le savez, c’est la plateforme incontournable pour écouter de la musique. À ses côtés, d’autres gros poissons : Apple Music, Amazon, Youtube. La différence ? Spotify représente plus du double en termes de part de marché : 32% en 2024 contre 12% pour Apple Music et 10% pour Amazon et Youtube Music (sources : Ecoconsient TMT).

En plus d’être parmi les plus anciennes plateformes d’écoute en ligne (lancement en 2006), le géant suédois propose régulièrement de nouvelles avancées avec une expérience utilisateur personnalisée et ludique. Évoquons par exemple les options de playlists et de partage, l’accès à moult informations sur les artistes préféré·es, l’arrivée des DM (direct message) il y a quelques semaines ou encore le désormais traditionnel « Wrap » annuel.
Il est où le problème ?
Si on s’arrête à l’application et à son fonctionnement technique du point de vue des utilisateur·ices, on pourrait avaler la pilule. Mais, vous vous en doutez, il y a un mais. Voire plusieurs. La ligne éthique de Spotify est confite de pratiques équivoques, pour ne pas dire problématiques. Nous pensons notamment à la rémunération des artistes. De l’ensemble des plateformes qui existent, c’est Spotify et Youtube Music qui leur consacrent la plus basse rémunération. Au fil des ans et selon les sources, Spotify rémunère en moyenne 0,0035 euros par écoute. En d’autres termes, pour s’acheter une baguette de pain à 1,40€, l’artiste doit cumuler au moins 400 écoutes. Pour payer un loyer à 700€, il lui en faudrait 200 000.
C’est d’autant plus déroutant que Spotify est sur le podium des plateformes les plus chères du marché.

En plus d’être très mauvais en termes de rémunération, Spotify surfe sur l’usage de musique générée par l’IA pour limiter au maximum (ou éviter ?) ses dépenses auprès des ayants-droits. Pas d’artistes, pas de droits ; pas de droits, pas de dû ; pas de dû, pas de dépense. Placés dans les découvertes radars ou au milieu de playlists, se glissent donc des morceaux générés de toute pièce par des intelligences artificielles. Ce qui permet une redirection des revenus vers… Spotify même (voir Mood Machine, une enquête de Liz Pelly). À l’origine de cette pratique douteuse, Daniel Ek, co-fondateur de la plateforme. Ce même Daniel Ek qui soutient financièrement des politiques nauséabondes à l’échelle mondiale (France Info). Ce même Daniel Ek qui investit 600 millions d’euros dans une entreprise développant de l’IA à destination d’opérations militaires (Radio France).
Sympa l’ambiance, non ?
Et si on boycottait Spotify ?
Boycotter Spotify, c’est un peu comme trier son pot de yaourt dans la poubelle recyclage quand, au même moment, 90 jets privés atterrissent pour le mariage de Jeff Bezos. L’impact est… minime. Pour autant, nous nous refusons à conclure que « ça ne vaut pas la peine d’essayer ». Parce que la musique, c’est une passion en plus d’être notre métier. Et puis le propre du boycott n’est-il pas de commencer par un acte symbolique avant d’avoir des effets politiques ou économiques ? Même si cela ferait probablement rigoler Daniel Ek de savoir que nous pensons boycotter sa plateforme (coucou Daniel).
Aujourd’hui, du point de vue d’un acteur de la musique (producteur et diffuseur), nos revenus de streaming sont malheureusement trop dépendants de Spotify. Un boycott commercial est quasiment impossible parce qu’il nous mettrait en péril. Mais il suffirait sans doute de peu de choses pour faire bouger les équilibres et renverser la tendance.
Pour y voir plus clair, nous avons fait un petit calcul pour vous. En croisant les revenus par stream et par plateforme avec la part des consommateurs ayant acheté de la musique en ligne, nous pouvons estimer le revenu moyen par plateforme. Pour 1000 streams, outre Youtube qui est le plus mauvais rémunérateur, les plateformes s’alignent sur une rémunération entre 0,80€ et 1,08€. Et là, surprise : Spotify, qui est pourtant la plateforme la plus utilisée (46% des consommateurs de musique en ligne s’en servent en 2024) n’est même pas sur le podium des plateformes générant le plus de revenus.

Selon nos estimations et à partir de statistiques existantes (Statista, Arcom, et précédentes), nous pouvons estimer que le revenu moyen d’un·e artiste pour un titre streamé 1000 fois est d’environ 4,91€. En s’appuyant sur les préférences et les achats des consommateur·ices en France en 2024, nous avons déterminé que les revenus générés par Spotify d’une part et un ensemble d’autres plateformes avec un meilleur taux de rémunération d’autre part, étaient presque équivalents. Spotify générerait 18,3% du revenu tandis que les autres plateformes avec moins d’écoute (Tidal, Qobuz, Mixcloud, Bandcamp…) auraient généré 19,4% ! Si ces dernières sont bien moins utilisées, elles ont une telle capacité rémunératrice qu’ensemble, elles pourraient dépasser la plateforme la plus utilisée au monde en terme de revenus.

Vous avez un peu mal à la tête ? Nous aussi. Mais c’est pour la bonne cause. D’une part, cela montre que la rémunération des ayants droits par le numérique est un vrai sujet – à ce titre, nous nous étions déjà penchés sur le système et la logique de rémunération des artistes par les plateformes. D’autre part, cela permet de réaliser comment nos choix de consommation ont un impact sur le monde (sinistres soutiens politiques, usages crapuleux de l’IA, business de la guerre…) et sur le travail des artistes.
Alors on fait quoi ?
Côté consommateur·ices, l’idéal serait de consommer (achat et/ou abonnement) de la musique sur les plateformes les plus rémunératrices. Nous pensons bien évidemment à Tidal et Qobuz (le grand favori). En tant que plateforme alternative au streaming, Bandcamp est également une excellente option. D’une manière générale, le circuit d’achat le plus court est évidement le plus souhaitable.
Côté artistes, certain·es ont déjà sauté le pas. On se souvient par exemple de Neil Young qui avait quitté la plateforme en 2022 pour protester contre la diffusion des podcasts de Joe Rogan (bien qu’il y soit revenu l’année dernière, non sans tacler « la première plateforme de streaming de musique en basse résolution au monde »). Dernièrement, ce sont King Gizzard & the Lizard Wizard, Deerhoof, Xiu Xiu et Massive Attack, entre autres, qui ont quitté Spotify pour des motivations politiques.
Côté ayants droits (labels, artistes, distributeurs), c’est plus compliqué, comme nous l’avons vu plus haut. Cela ne veut pas dire que nous n’avons pas de marge de manœuvre.
Ce que l’on choisit de faire chez Microcultures
En tant que producteur phonographique et parce que nous avons un regard direct sur les ventes et écoutes numériques de nos artistes, nous avons choisi de valoriser les plateformes les plus rémunératrices pour les ayants droits. Très concrètement, cela passe par des choix stratégiques dans notre communication comme par exemple l’ordre d’affichage des plateformes dans nos smartlinks de distribution. Désormais, nous prioriserons les trois plateformes les plus rémunératrices en tête de liste. Un changement qui paraît anodin mais qui souligne la priorité que nous souhaitons donner à Tidal, Qobuz et Apple Music par rapport aux autres.

En tant qu’auditeur·ices, nous sommes désormais abonné·es à Qobuz. Après avoir éprouvé Tidal durant deux ans, Qobuz s’est imposé comme un choix plus juste. À services équivalents, la rémunération des ayants droits y est optimale. C’est l’argument qui nous a poussé au changement.
Et si vous voulez soutenir d’encore plus près la création artistique, vous pouvez également vous abonner au club Microcultures (un peu d’auto-promo, ça ne fait pas de mal). Vous abonner, c’est gagner une place toute particulière dans notre cœur bien sûr, mais c’est aussi et surtout participer au fonctionnement du label. En tant qu’abonné·e, vous recevez nos sorties au format numérique ainsi qu’en physique (selon la nature de l’abonnement choisi). En prime, vous bénéficiez d’une remise de 20% sur l’ensemble de notre boutique.

C’est le moment de faire les bons choix.
Julie